Dieu, pourquoi t’en prends-tu à moi ?

10 Je suis dégoûté de la vie,

je ne retiendrai plus mes plaintes,
je veux exprimer l’amertume |qui remplit tout mon être.
Et je veux dire à Dieu : |Ne me traite pas en coupable,
fais-moi savoir pourquoi |tu me prends à partie.
Trouves-tu bien de m’accabler, |de mépriser ta créature, |produite par tes mains, |et de favoriser, |les desseins des méchants ?
As-tu des yeux de chair,
et ne vois-tu |qu’à la façon des hommes ?
Ta vie serait-elle aussi courte |que celle des humains,
et tes années passeraient-elles |comme celles d’un homme,
pour que tu recherches ma faute
et pour que tu enquêtes |sur mon iniquité[a] ?
Pourtant tu le sais bien, |je ne suis pas coupable,
et il n’y a personne |pour me délivrer de ta main !

Tes mains m’ont façonné, |ensemble elles m’ont fait |moi tout entier, |et tu me détruirais[b] !
Oh, souviens-toi, je t’en supplie, |que tu m’as façonné |comme avec de l’argile.
Voudrais-tu à présent |me faire retourner |à la poussière ?
10 Tu m’as coulé comme du lait,
puis fait cailler en fromage.
11 Oui, tu m’as revêtu |de peau, de chair,
tu m’as tissé d’os et de nerfs.
12 C’est toi qui m’as donné la vie, |tu m’as accordé ta faveur[c],
et tes soins vigilants |ont préservé mon souffle.

13 Mais voilà donc |ce que tu cachais dans ton cœur
et je sais maintenant |ce que tu méditais :
14 me surveiller, |voir si je pèche,
ne me laisser passer |aucune faute,
15 et si je suis coupable, |malheur à moi !
Si je suis juste, |je ne puis cependant |marcher la tête haute,
moi qui suis rassasié |de honte et de misère.
16 Car si je me relève, |tu me pourchasses comme un lion,
et tu ne cesses d’accomplir |tes hauts faits contre moi.
17 Sans cesse tu dépêches |de nouveaux témoins contre moi[d],
ta fureur envers moi s’accroît,
tes troupes se succèdent |pour m’assaillir.
18 Pourquoi donc m’as-tu fait sortir |du ventre maternel ?
J’aurais péri alors |et aucun œil ne m’aurait vu.
19 Je serais comme ceux |qui n’ont jamais été,
j’aurais été porté |du sein maternel au tombeau.
20 Il me reste si peu de jours, |ils touchent à leur fin[e].
Que ne me laisse-t-il, |que je respire un peu,
21 avant de partir sans retour |au pays des ténèbres
et de l’obscurité profonde,
22 terre plongée dans une nuit obscure, |où règnent d’épaisses ténèbres |et soumise au désordre, |où la lumière |est comme une nuit noire.

Premier discours de Tsophar

La sagesse de Dieu nous dépasse

11 Puis Tsophar de Naama prit la parole et dit :

Ne répondra-t-on pas |à ce flot de paroles ?
Suffit-il de parler |pour que l’on ait raison ?
A cause de tes vains discours, |tous devront-ils se taire ?
Railleras-tu |sans qu’on t’en fasse honte ?
Or, tu as osé dire : |« L’enseignement que j’ai reçu est impeccable,
je suis pur devant toi. »
Ah ! S’il plaisait à Dieu |de te parler lui-même,
et s’il ouvrait la bouche |pour te répondre !
Il te révélerait |de la sagesse les secrets
car elle est bien trop haute |pour notre intelligence ;
tu comprendrais alors |que Dieu laisse passer |une part de tes fautes.

Prétends-tu pénétrer |les profondeurs de Dieu,
saisir la perfection |du Tout-Puissant ?
Elle est plus haute que le ciel. |Que feras-tu ?
Et plus profonde que l’abîme[f]. |Qu’en sauras-tu ?
Elle est plus longue que la terre,
plus large que la mer.
10 Si, au passage, |il emprisonne le coupable
et s’il le convoque en justice, |qui peut s’y opposer ?
11 Car il connaît bien les trompeurs,
il discerne une faute |sans effort d’attention.
12 Celui qui a la tête vide |pourra devenir sage
quand un ânon sauvage |naîtra domestiqué[g].

13 Toi, si tu affermis ton cœur
et si tu tends les bras vers Dieu,
14 si tu abandonnes les fautes |dont tes mains sont coupables,
si tu ne permets pas |à la perversité |d’habiter sous ta tente,
15 alors tu lèveras la tête |sans avoir honte[h],
tu tiendras ferme |et tu ne craindras rien.
16 Tu oublieras ta peine,
son souvenir sera |comme une eau écoulée.
17 Ta vie sera plus radieuse |que le soleil en plein midi,
l’obscurité |luira comme une aurore.
18 Tu reprendras confiance |car l’espoir renaîtra.
Et tu regarderas |autour de toi[i], |tu dormiras tranquille,
19 et tu te coucheras |sans que nul ne te trouble.
Beaucoup de gens viendront |implorer ta faveur.
20 Mais les yeux des méchants |finiront par s’éteindre.
Leur refuge fera défaut,
leur seul espoir |sera de rendre l’âme.

Réponse de Job à Tsophar

Dieu fait ce qu’il veut

12 Job prit la parole et dit :

En vérité, à vous tout seuls, |vous êtes tout le genre humain ;
avec vous mourra la sagesse.
Néanmoins, comme vous, |j’ai de l’intelligence,
je ne vous cède en rien.
Du reste, qui ignore |ce que vous avez dit ?
Je suis pour mes amis |un objet de risée,
moi qui invoque Dieu |afin qu’il me réponde,
un juste, un homme intègre, |voilà l’objet des railleries !

Au malheur, le mépris ! |C’est l’avis des heureux.
Voilà ce qui attend |ceux dont le pied chancelle.
Mais les brigands jouissent |de la paix sous leurs tentes,
ceux qui provoquent Dieu |sont en sécurité,
eux qui ne reconnaissent |d’autre dieu que leur force[j].

Mais interroge donc |les animaux sauvages, |ils t’instruiront,
et les oiseaux du ciel, |ils te renseigneront.
Ou bien parle à la terre, |et elle t’instruira,
les poissons de la mer |pourront t’en informer.
Oui, parmi tous ceux-ci, |lequel ignorerait
que c’est Dieu[k] qui a fait cela ?
10 Il tient en son pouvoir |la vie de tous les êtres,
le souffle qui anime |le corps de tout humain.
11 L’oreille juge bien |les mots que l’on entend,
tout comme le palais discerne |le goût des aliments.
12 La sagesse appartient |aux personnes âgées,
et une longue vie |donne l’intelligence.

13 C’est auprès de lui que se trouvent |la sagesse et la force.
C’est à lui qu’appartiennent |conseil, intelligence.
14 Voici : ce qu’il détruit, |nul ne le rebâtit.
Et s’il enferme un homme, |personne n’ouvrira.
15 Il arrête les eaux, |et c’est la sécheresse.
Et dès qu’il les déchaîne |la terre est dévastée.
16 Auprès de lui résident |la force et la sagesse.
Il tient en son pouvoir |celui qui se fourvoie |et celui qui l’égare.
17 Il emmène en exil |les conseillers d’Etat,
et livre à la folie |les dirigeants du peuple.
18 Il desserre l’emprise |des rois sur leurs sujets
et ceint leurs reins d’un pagne[l].
19 Il emmène en exil les prêtres,
il renverse les pouvoirs établis.
20 Il ôte la parole |aux orateurs habiles
et ravit le discernement |aux personnes âgées.
21 Il couvre de mépris les nobles,
il fait aussi tomber |les armes des puissants.
22 Il met à découvert |les profonds secrets des ténèbres,
et il expose au jour |les ténèbres les plus épaisses.
23 Il grandit les nations, |et il les fait périr,
il étend leur empire, |puis les emmène au loin.
24 Il ôte la raison |aux chefs des nations de la terre
et il les fait errer |dans des déserts sans piste,
25 de sorte qu’ils tâtonnent |en pleine obscurité, |sans trouver de lumière.
Oui, il les fait errer, |tels des ivrognes.

Job accuse ses amis de fausseté et clame son innocence

13 Oui, certes, tout cela, |mes propres yeux l’ont vu,

oui, je l’ai entendu |de mes propres oreilles, |et je l’ai bien compris.
Tout ce que vous savez, |je le sais, moi aussi,
je ne vous cède en rien.

Mais c’est au Tout-Puissant |que je veux m’adresser,
c’est devant Dieu lui-même |que je veux défendre ma cause.
Quant à vous, mes amis, |vous forgez des mensonges,
vous êtes tous |des médecins incompétents.
Si seulement vous gardiez le silence !
Alors vous feriez preuve de sagesse !
Ecoutez, je vous prie, |ce que je dis pour ma défense
et soyez attentifs |à la plaidoirie de mes lèvres.
Est-ce en faveur de Dieu |que vous proférez des propos injustes,
et est-ce pour le soutenir |que vous dites des faussetés ?
Allez-vous vous montrer |partiaux en sa faveur ?
Prétendez-vous ainsi |défendre la cause de Dieu ?
Et sera-ce à votre avantage |s’il sonde vos pensées ?
Comptez-vous le tromper |comme l’on trompe un homme ?
10 Il ne manquera pas |de vous le reprocher,
si vous aviez pour lui |des parti pris secrets.
11 Sa majesté n’a-t-elle |rien pour vous effrayer ?
N’êtes-vous pas saisis |par la peur qu’il inspire ?
12 Car vos paroles |ne sont que maximes de cendre
et vos réponses[m] |des ouvrages d’argile.

13 Taisez-vous donc |et laissez-moi parler.
Advienne que pourra !
14 Ainsi je veux risquer ma vie,
je vais la mettre en jeu[n].
15 Quand même il me tuerait, |je compterais sur lui[o].
Mais, devant lui, |je veux défendre ma conduite.
16 Cela même sera |salutaire pour moi.
Car aucun hypocrite |ne trouve accès à lui.
17 Ecoutez, écoutez mes paroles
et prêtez attention |à mes explications !
18 Car, voici, je suis prêt |à défendre ma cause.
Je sais que je suis dans mon droit.
19 Est-il quelqu’un qui veuille |entrer en procès avec moi ?
Alors je me tairai, |et rendrai mon dernier soupir.

20 Mais cesse donc, de grâce, |de faire ces deux choses
et je ne me cacherai plus |de devant toi :
21 retire donc ta main |de dessus moi,
ne m’épouvante plus |par les terreurs que tu me causes,
22 puis lance ton appel, |et je te répondrai,
ou bien je parlerai |et tu me répondras.
23 Combien ai-je commis |de péchés et de fautes ?
Fais-moi connaître |mes péchés et mes transgressions.
24 Pourquoi détournes-tu |ton visage de moi ?
Pourquoi me considères-tu |comme ton ennemi[p] ?
25 Veux-tu faire trembler |une feuille emportée au vent,
et veux-tu pourchasser |un brin de paille sèche,
26 pour m’avoir destiné |des peines si amères,
et me faire payer |mes fautes de jeunesse,
27 pour avoir enserré |mes deux pieds dans les fers,
pour surveiller de près |mes moindres faits et gestes,
et pour scruter toi-même |les traces de mes pas ?
28 Et l’homme tombe en pourriture
ainsi qu’un vêtement |que dévore la teigne.

Job demande à Dieu d’abréger ses souffrances

14 L’homme né de la femme,

ses jours sont limités |et pleins de troubles !
Il est comme une fleur |qui sort de terre et que l’on coupe.
Il fuit comme une ombre furtive, |et il ne dure pas.
Et c’est cet homme |que tu épies,
et, devant toi, |tu me traînes[q] en justice.

Peut-on tirer le pur |de ce qui est impur ?
Personne ne le peut.
Puisque tu as fixé |le nombre de ses jours, |et que toi, tu connais |le nombre de ses ans,
puisque tu as fixé |le terme de sa vie |qu’il ne franchira pas,
détourne tes regards de lui, |accorde-lui quelque répit
pour qu’il jouisse de son repos |comme le salarié[r].
Car un arbre, du moins, |conserve une espérance :
s’il est coupé, |il peut renaître encore,
il ne cesse d’avoir |de nouveaux rejetons.
Sa racine peut bien |vieillir dans le terrain
et sa souche périr, |enfouie dans la poussière,
dès qu’il flaire de l’eau, |voilà qu’il reverdit
et produit des rameaux |comme une jeune plante.
10 Mais lorsque l’homme meurt, |il reste inanimé.
Quand l’être humain expire, |où donc est-il alors ?
11 L’eau disparaît des mers,
les rivières tarissent |et restent desséchées,
12 et l’homme, quand il meurt, |ne se relève plus ;
jusqu’à ce que le ciel s’éclipse |il ne se réveillera pas,
il ne sortira pas |de son dernier sommeil.
13 Si seulement, ô Dieu, |tu voulais me tenir caché |dans le séjour des morts,
m’y abriter |jusqu’au jour où, enfin, |ta colère sera passée !
Si seulement tu me fixais |un terme après lequel |tu penserais à moi !
14 Mais l’homme une fois mort, |va-t-il revivre ?
Alors, tous les jours de service |que je dois accomplir
j’attendrais que le temps |de ma relève arrive.
15 Toi, tu m’appellerais |et je te répondrais,
et tu soupirerais |après ta créature.
16 Alors que maintenant |tu comptes tous mes pas !
Tu ne resterais plus |à l’affût de mes fautes.
17 Ainsi mon crime |serait scellé[s] dans un sachet,
tu couvrirais mes fautes |d’une couche de plâtre.
18 La montagne s’écroule |et se disloque,
le rocher se détache |du lieu qu’il occupait.
19 L’eau érode les pierres
et son ruissellement |entraîne le terreau.
De même, tu anéantis |l’espoir de l’homme.
20 Tu le terrasses sans retour, |et il s’en va.
Oui, tu le défigures[t], |puis tu le congédies.
21 Que ses enfants soient honorés, |lui, il n’en saura rien.
Ou qu’ils soient abaissés, |lui, il l’ignorera.
22 Il ne peut que souffrir |du mal qui l’atteint en son corps
et s’affliger |du malheur qu’il ressent.

Deuxième discours d’Éliphaz

Les méchants sont punis

15 Eliphaz de Témân prit la parole et dit :

Est-il digne d’un sage |de répliquer par un savoir |qui n’est rien que du vent,
de se remplir le ventre |d’un sirocco aride[u] ?
Va-t-il argumenter |à coups de mots futiles,
avec de longs discours |qui ne servent à rien ?
Voilà que toi, |tu réduis à néant |la crainte due à Dieu,
et tu rends inutile |toute réflexion devant Dieu.
C’est ton iniquité |qui inspire ta bouche,
et tu as adopté |la langue des rusés.
C’est donc ta propre bouche |qui te condamnera, |ce ne sera pas moi.
Ce sont tes propres lèvres |qui déposeront contre toi.
Es-tu le premier homme |qui soit né ici-bas ?
Aurais-tu vu le jour |bien avant les collines ?
Aurais-tu entendu |ce qui s’est dit |dans le conseil de Dieu ?
Aurais-tu confisqué |pour toi seul la sagesse ?
En fait, que sais-tu donc |que nous ne sachions pas ?
Qu’as-tu bien pu comprendre |qui nous ait échappé ?
10 Il y a aussi parmi nous |des anciens, des vieillards
plus âgés que ton père !
11 Tiens-tu pour peu de chose |le réconfort que Dieu t’apporte
et les paroles modérées |qui te sont adressées ?
12 Où t’emporte ton cœur ?
A quoi font allusion |ces clignements des yeux ?
13 Comment peux-tu oser |t’irriter contre Dieu,
et laisser échapper |tous ces propos ?
14 Comment un être humain |pourrait-il être pur ?
Et comment l’être |né d’une femme |pourrait-il être juste ?
15 Or, même à ses saints anges[v] |Dieu ne fait pas confiance,
le ciel n’est pas pur à ses yeux.
16 Combien moins l’être détestable, |cet homme corrompu
qui commet l’injustice |comme il boirait de l’eau !

17 Je vais t’instruire : écoute-moi !
Je vais te raconter |ce que j’ai découvert,
18 l’enseignement des sages |qu’ils tenaient de leurs pères
qu’ils ont transmis sans rien cacher.
19 A eux seuls, le pays |avait été donné,
et aucun étranger |n’était encore passé parmi eux.

20 Tous les jours de sa vie, |le méchant connaît le tourment,
tout au long des années |réservées au tyran.
21 Un bruit plein d’épouvante |résonne à ses oreilles
et même en temps de paix |un destructeur fondra sur lui.
22 Il ne peut espérer |revenir des ténèbres,
et le glaive le guette.
23 Il erre çà et là : |où donc trouver du pain ?
Il sait que des jours sombres |se préparent pour lui.
24 Le tourment et l’angoisse |le jetteront dans l’épouvante
et se rueront sur lui |comme un roi préparé |à marcher au combat,
25 parce que, contre Dieu |il a levé le poing,
et qu’il s’est élevé |contre le Tout-Puissant.
26 Il a foncé sur lui |tête baissée
en s’abritant derrière |un épais bouclier.
27 Son visage est bouffi de graisse,
ses flancs lourds d’embonpoint.
28 Mais il aura pour domicile |des villes dévastées,
dans des maisons inhabitées,
tombant en ruine.
29 Il ne pourra pas s’enrichir, |sa fortune ne tiendra pas,
et sa prospérité |ne s’étalera plus sur terre.
30 Il ne pourra |échapper aux ténèbres.
La flamme rendra secs |tous ses rameaux[w],
et il sera chassé |par le souffle de Dieu[x].

31 C’est dans la fausseté |qu’il a mis sa confiance.
Mais il se trompe, |car il récoltera |la fausseté.
32 Avant que son jour vienne |cela s’accomplira,
et, jamais, sa ramure |ne reverdira plus.
33 Il est comme une vigne |qui laisserait tomber |ses raisins encore verts,
ou comme un olivier |perdant ses fleurs.
34 Car la famille de l’impie |demeurera stérile ;
les maisons qui abritent |la corruption |seront la proie des flammes.
35 Car qui conçoit le mal |enfante le malheur
et au fond de son cœur |mûrit la tromperie.

Réponse de Job à Éliphaz

Job, blessé par les propos de ses amis

16 Alors Job prit la parole et dit :

J’ai entendu beaucoup |de discours de ce genre,
vous êtes tous |des consolateurs bien pénibles !
Cesseras-tu |de parler pour du vent ?
Qu’est-ce qui te contraint |à répliquer encore[y] ?
Si vous étiez vous-mêmes |à la place où je suis,
je pourrais parler comme vous,
tenir contre vous des discours,
et, à votre sujet, |hocher la tête[z].
Je vous fortifierais |par mes paroles,
je vous soulagerais |par mes lèvres pleines de mots.

Cependant, si je parle, |pour autant ma souffrance |n’en est pas soulagée,
et si je m’en abstiens, |va-t-elle me quitter ?
Oui, à l’heure présente, |Dieu m’a poussé à bout,
oui, tu as ravagé[aa] |toute ma maisonnée.
Tu m’as creusé des rides, |elles témoignent contre moi,
et ma maigreur se lève |pour m’accuser[ab].
Dans sa colère, |Dieu me déchire |et il s’attaque à moi,
il grince des dents[ac] contre moi.
Mon adversaire |me transperce de ses regards.
10 Ils ouvrent contre moi |leur bouche toute grande.
Leurs outrages me giflent,
ils se liguent tous contre moi.
11 Dieu m’a livré |au pouvoir des injustes,
il m’a jeté en proie |à des méchants.
12 Je vivais en repos, |et il m’a secoué,
il m’a pris par la nuque, |pour me briser,
puis il m’a relevé |pour me prendre pour cible,
13 ses flèches m’environnent,
il transperce mes reins, |sans aucune pitié
il répand à terre ma bile.
14 Il m’inflige blessure |après blessure.
Il s’est rué sur moi |comme un guerrier.

15 J’ai cousu pour ma peau |une toile de sac,
et j’ai traîné ma dignité |dans la poussière.
16 Mon visage est rougi |à force de pleurer,
et l’obscurité la plus noire |s’étend sur mes paupières.
17 Pourtant mes mains n’ont pas commis |d’actes de violence
et ma prière |est sans hypocrisie.

18 Ne couvre pas mon sang, ô terre,
et que mon cri |ne soit pas étouffé.
19 Dès à présent : |j’ai un témoin au ciel,
oui j’ai dans les lieux élevés, |quelqu’un qui témoigne pour moi.
20 Mes amis se moquent de moi :
les yeux baignés de larmes, |je me tourne vers Dieu.
21 Qu’il[ad] prenne la défense |d’un homme devant Dieu,
et qu’il arbitre |entre l’homme et son compagnon[ae].
22 Ma vie touche à sa fin
et je m’en vais par le chemin |d’où l’on ne revient pas.

Les propos des amis de Job ne sont pas justes

17 Ah ! Mon souffle s’épuise,

mes jours s’éteignent :
le sépulcre m’attend.
Je suis entouré de moqueurs
dont l’insolence |tient mes yeux en éveil.
Porte-toi donc toi-même |garant auprès de toi
car, en dehors de toi, |qui me cautionnerait ?
Car tu as fermé leur esprit |à la raison ;
c’est pourquoi tu ne peux |les laisser l’emporter.
« Celui qui livre ses amis |pour qu’on les pille,
condamne ses enfants |à la misère[af]. »
Oui, Dieu a fait de moi |celui dont tous se moquent[ag] ;
on me crache au visage.
A force de chagrin, |mes yeux se sont ternis,
mon corps n’est plus qu’une ombre.
Les hommes droits sont atterrés |par la façon dont on me traite,
et l’innocent s’indigne |contre l’impie.
Le juste[ah], malgré tout, |persiste dans sa voie ;
l’homme aux mains pures |redouble d’énergie.
10 Et quant à vous |revenez à la charge :
je ne trouverai pas |de sage parmi vous !
11 Mes jours sont écoulés, |mes projets sont anéantis,
les désirs de mon cœur |ont avorté.
12 Ils prétendent que la nuit c’est le jour,
que la lumière est proche, |alors que les ténèbres règnent.
13 Mais que puis-je espérer ? |C’est le séjour des morts |que j’attends pour demeure,
dans les ténèbres, |je dresserai ma couche.
14 J’ai crié au sépulcre : |« C’est toi qui es mon père ! »
J’ai dit à la vermine : |« Vous, ma mère et mes sœurs ! »
15 Où donc est mon espoir ?
Mon espérance, qui l’aperçoit ?
16 Elle va descendre |derrière les barreaux |dans le séjour des morts
quand nous irons ensemble |dormir dans la poussière.

Deuxième discours de Bildad

La lumière des méchants s’éteindra

18 Bildad de Shouah prit la parole et dit :

Quand donc ferez-vous[ai] taire |tout ce flot de paroles ?
Réfléchissez |et puis nous parlerons.
Pourquoi passerions-nous |pour n’être que des bêtes ?
A vos yeux sommes-nous stupides ?
O toi qui te meurtris |par ton emportement,
est-ce à cause de toi |que la terre devrait |rester abandonnée ?
Faut-il que les rochers |se déplacent pour toi ?

Oui, la lumière du méchant |sûrement va s’éteindre,
et sa flamme de feu |cessera de briller.
La lumière s’obscurcira |dans sa demeure,
et elle s’éteindra, |la lampe de sa vie.
Son allure si ferme |devient embarrassée,
et ses propres desseins |le feront trébucher.
Car ses pieds seront pris |dans des filets tendus,
et c’est parmi les mailles |d’un piège qu’il avance.
Oui, un lacet le prendra au talon,
un collet se refermera sur lui ;
10 la corde pour le prendre |est cachée dans la terre,
un piège l’attend sur sa route.
11 De toutes parts, |la terreur l’épouvante,
s’attachant à ses pas.
12 Sa vigueur s’affaiblit, |consumée par la faim,
et la calamité |se tient à ses côtés.
13 Elle dévorera |des morceaux de sa peau.
Et les prémices de la mort |rongeront tous ses membres.
14 Il sera arraché |du milieu de sa tente |où il est en sécurité,
et forcé de marcher |vers le roi des terreurs[aj].
15 Qu’on s’installe en sa tente : |elle n’est plus à lui.
Du soufre est répandu |sur son habitation[ak].
16 En bas, ses racines dessèchent,
en haut, sa ramure se fane.
17 Son souvenir |disparaît sur la terre,
son nom n’est plus cité |au-dehors, dans les rues.
18 Il sera repoussé |de la lumière |vers les ténèbres.
Il sera expulsé |hors du monde habité.
19 Il n’aura ni enfant |ni aucun descendant |au milieu de son peuple,
et point de survivant |dans le lieu où il résidait[al].
20 Et ceux de l’Occident |seront saisis d’effroi |devant sa destinée,
et tous ceux de l’Orient |seront remplis d’horreur.
21 Voilà ce qui attend |les maisons de l’injuste,
et tel est le destin |de qui ignore Dieu.

Réponse de Job à Bildad

Dieu s’acharne-t-il contre moi ?

19 Et Job prit la parole et dit :

Jusques à quand |me tourmenterez-vous ?
Oui, jusqu’à quand |allez-vous m’accabler |de vos discours ?
Voilà déjà dix fois |que vous me flétrissez !
N’avez-vous donc pas honte |de m’outrager ainsi ?
Même s’il était vrai |que j’aie fait fausse route,
après tout, c’est moi seul |que mon erreur concerne.
Quant à vous, si vraiment |vous voulez vous montrer |bien supérieurs à moi,
si vous me reprochez |mon humiliation,
sachez bien que c’est Dieu |qui a violé mon droit[am]
et qui, autour de moi, |a tendu ses filets.
Si je crie à la violence |dont je suis la victime, |personne ne répond,
si j’appelle au secours, |il n’est pas fait justice.
Il a bloqué ma route, |et je ne puis passer.
Il a enveloppé |mes sentiers de ténèbres.
Il m’a ravi ma dignité,
et la couronne de ma tête |il l’a ôtée.
10 Il m’a détruit de tous côtés |et je vais disparaître.
Il a déraciné |mon espoir comme un arbre.
11 Contre moi, il déchaîne |le feu de sa colère,
et il me considère |comme son adversaire.
12 Ses bataillons, ensemble, |se sont tous mis en route,
et jusqu’à moi |ils se sont frayé leur chemin,
ils ont dressé leur camp |autour de ma demeure[an].
13 Il a fait s’éloigner |de moi ma parenté
et ceux qui me connaissent |se détournent de moi.

14 Mes proches et mes connaissances |m’ont tous abandonné,
les hôtes de passage, |dans ma maison, |m’ont oublié,
15 et mes propres servantes
font comme si j’étais |un étranger.
Je ne suis plus pour eux |qu’un inconnu.
16 J’appelle mon esclave, |et il ne répond pas,
même si je l’implore.
17 Mon haleine répugne |à ma femme elle-même,
et les fils de ma mère |me prennent en dégoût.
18 Les petits enfants même |me montrent leur dédain[ao] :
quand je veux me lever, |ils jasent sur mon compte.
19 Ils ont horreur de moi, |tous mes amis intimes[ap].
Ceux que j’aimais le plus |se tournent contre moi.
20 Ma peau colle à mes os |de même que ma chair
et je n’ai survécu |qu’avec la peau des dents[aq].

21 Ayez pitié de moi, |ayez pitié de moi, |vous, du moins, mes amis !
Car, la main de Dieu m’a frappé.
22 Pourquoi vous acharner |sur moi, tout comme Dieu ?
N’en avez-vous donc pas assez |de me persécuter ?

23 Oh ! si quelqu’un voulait |consigner mes paroles !
Si quelqu’un voulait bien |les graver dans un livre !
24 Que d’une pointe en fer |ou d’un stylet de plomb[ar],
elles soient incisées |pour toujours dans le roc !
25 Mais je sais, moi, |que mon défenseur est vivant :
en dernier lieu |il surgira sur la poussière.
26 Après que cette peau |aura été détruite,
moi, dans mon corps[as], |je contemplerai Dieu.
27 Oui, moi, je le verrai |prendre alors mon parti[at],
et, de mes propres yeux, |je le contemplerai. |Et il ne sera plus |un étranger pour moi[au].
Ah ! mon cœur se consume |d’attente au fond de moi.
28 Vous qui vous demandez : |« Comment allons-nous le poursuivre ? »
et qui trouvez en moi |la racine du mal,
29 craignez pour vous l’épée,
car votre acharnement |est passible du glaive.
Ainsi vous apprendrez |qu’il y a bien un jugement.

Deuxième discours de Tsophar

Le triomphe des méchants ne dure pas

20 Tsophar de Naama prit la parole et dit :

A présent, mes pensées |me pressent de répondre,
et mon agitation |ne peut se contenir.
J’entends des remontrances |qui me sont une injure.
Mais mon esprit, |avec intelligence, |me donne la réponse.
Ne le sais-tu donc pas : |depuis toujours,
depuis que l’homme |a été placé sur la terre,
le triomphe des gens méchants |est de courte durée,
et la joie de l’impie |ne dure qu’un instant.
Et quand bien même |il grandirait jusques au ciel,
quand de la tête |il toucherait les nues,
il périra à tout jamais |tout comme son ordure[av].
Et ceux qui le voyaient |diront : « Où donc est-il ? »
Comme un songe, il s’évanouit, |on ne le trouve plus.
Comme un rêve nocturne, |il se dissipe.
L’œil qui le contemplait |ne pourra plus le voir,
l’endroit qu’il habitait |ne l’apercevra plus.
10 Ses fils devront indemniser |ceux qu’il a appauvris[aw]
et, de ses propres mains, |il restituera sa fortune.

Footnotes

  1. 10.6 Autre traduction : pour que tu me poursuives en justice et que tu cherches à me faire payer ma faute.
  2. 10.8 Hébreu difficile. Autre traduction, d’après l’ancienne version grecque : Tes mains m’ont façonné, elles m’ont fait, mais après cela, tu as changé d’avis et tu me détruis.
  3. 10.12 Autre traduction : c’est toi qui m’as accordé la grâce de la vie.
  4. 10.17 D’autres comprennent, en modifiant légèrement le texte hébreu : Tu renouvelles constamment ton hostilité contre moi.
  5. 10.20 Autre traduction : Qu’il cesse donc.
  6. 11.8 Il s’agit du séjour des morts (voir 7.9).
  7. 11.12 Traduction incertaine. D’autres comprennent : celui qui a la tête vide ne peut pas plus devenir sage que l’ânon sauvage ne peut naître homme.
  8. 11.15 Réplique aux paroles de Job (10.15).
  9. 11.18 Autre traduction : et après avoir perdu la face.
  10. 12.6 Au lieu de eux qui ne reconnaissent … force, on pourrait traduire : ceux qui portent leur dieu dans la main ou ceux qui disposent de Dieu à leur gré.
  11. 12.9 Selon plusieurs manuscrits du texte hébreu. Le texte hébreu traditionnel a : l’Eternel.
  12. 12.18 Seul vêtement laissé aux captifs. D’autres comprennent : d’une ceinture, c’est-à-dire la corde des captifs qui les prive de toute liberté de mouvement (voir Jn 21.18) lorsqu’ils sont emmenés en exil.
  13. 13.12 Autre traduction : et vos protections.
  14. 13.14 D’après l’ancienne version grecque ; le texte hébreu traditionnel a : pourquoi risquerais-je ma vie, pourquoi la mettrais-je en jeu ?
  15. 13.15 Selon une note en marge des manuscrits hébreux qui ont, dans le texte : il me tuera, je n’espère plus rien. En hébreu, en lui et plus rien se prononcent tous deux lo et ne diffèrent que par l’orthographe.
  16. 13.24 Le terme ennemi fait assonance en hébreu avec le nom de Job.
  17. 14.3 L’ancienne version grecque, la version syriaque et la Vulgate ont : faut-il que tu le traînes.
  18. 14.6 Autre traduction : pour qu’il tire satisfaction de sa journée.
  19. 14.17 Donc oublié, il ne pourrait plus être évoqué.
  20. 14.20 Par la maladie.
  21. 15.2 Vent brûlant venant du désert (27.21 ; 38.24 ; Gn 41.6 ; Jr 4.11) qui n’apporte ni rafraîchissement ni pluie fertilisante mais brûle tout sur son passage.
  22. 15.15 Voir 5.1 et note.
  23. 15.30 Le méchant est comparé à un arbre.
  24. 15.30 Autre traduction : et il fuira sa propre haleine.
  25. 16.3 Réponse à Eliphaz (voir 15.2).
  26. 16.4 Geste de mépris et d’insulte (Ps 22.8 ; Jr 48.27 ; Mt 27.39).
  27. 16.7 Au milieu de son discours, Job se tourne soudain vers Dieu.
  28. 16.8 Comme un faux témoin accusant Job d’être coupable, puisqu’il souffre.
  29. 16.9 Dieu est comparé à un lion (comparer 10.16) qui l’attaque et le déchire.
  30. 16.21 il : c’est-à-dire le témoin (v. 19), qui n’est sans doute autre que Dieu lui-même (v. 20 ; voir 17.3).
  31. 16.21 Autre traduction : comme le fait un homme pour son ami.
  32. 17.5 Au lieu de : Celui qui … la misère, on pourrait traduire : on invite des amis au partage, mais on a des fils qui voient la misère.
  33. 17.6 Autre traduction : il m’avait établi pour dominer les peuples.
  34. 17.9 Il s’agit certainement de Job.
  35. 18.2 Ce vous renvoie peut-être aux hommes droits de 17.8 qui, selon Job, devraient défendre sa cause.
  36. 18.14 C’est-à-dire la mort.
  37. 18.15 Signe de malédiction : voir en Gn 19.24 ; Dt 29.22 le cas de Sodome et de Gomorrhe. Selon d’autres, il s’agirait d’un désinfectant que les nouveaux propriétaires auraient répandu sur la demeure.
  38. 18.19 Allusion à Job privé de ses enfants.
  39. 19.6 Autre traduction : qui m’opprime.
  40. 19.12 Comme une armée faisant le siège d’une ville ; les troupes envoyées par Dieu sont les nombreux maux dont Job souffre.
  41. 19.18 Insulte suprême en Orient où les personnes âgées jouissaient d’un grand respect (Ex 20.12).
  42. 19.19 Autre traduction : ceux qui siégeaient au conseil à mes côtés.
  43. 19.20 Cela pourrait désigner les gencives. D’autres y voient une expression proverbiale signifiant : j’ai tout perdu.
  44. 19.24 On gravait des mots dans la pierre avec une pointe en fer, puis on passait dans le creux avec un stylet de plomb pour le noircir et rendre les lettres plus lisibles. Job veut que sa défense subsiste après sa mort jusqu’à ce qu’il soit réhabilité.
  45. 19.26 D’autres comprennent : hors de mon corps.
  46. 19.27 Littéralement : pour moi ; certains traduisent : je le verrai moi-même.
  47. 19.27 Certains traduisent : je le contemplerai, moi, et pas un étranger ou je le contemplerai, et pas comme un étranger.
  48. 20.7 L’ancienne version grecque a : sa grandeur, ce qui suppose une différence d’une consonne par rapport au texte hébreu traditionnel.
  49. 20.10 Autre traduction : ses fils seront assaillis par les pauvres.